Interview en grand format de Cyril Sicsic (Feytiat Basket 87), fraîchement élu meilleur entraîneur de NF1 de la saison 2018-2019 par ses pairs.
Interview réalisée par Romain Mondoly, rédacteur chez Parlons Basket.
Peux-tu nous faire un résumé de ta carrière en tant que coach ?
Avant d’entraîner au haut niveau en Ligue Féminine, j’ai commencé à coacher dans toutes les catégories : j’ai fait poussin, cadet, minimes France. Puis j’ai commencé en Ligue Féminine à 27 ans, avant j’avais des espoirs, j’ai pris l’équipe de Nice en 2000. J’ai fait 5 saisons à la tête de l’équipe. Et au bout de 5 saisons, parce que c’est mon club, je tournais en rond, j’ai demandé au président de me laisser partir malgré 1 saison de contrat restante. Il m’a donné son accord, j’ai pu signer au COB Calais.
Calais : les 7 plus belles années de ma vie en termes humain et basket.
C’était vraiment des années fantastiques. Et puis pareil, j’en avait fait le tour. Je ne voyais pas ce que je pouvais apporter de plus au club. Et puis j’ai eu l’opportunité de signer à Tarbes. C’était un autre challenge, c’était un autre niveau, c’était la Coupe d’Europe, c’était le très haut niveau du championnat de France.
Par la suite, je suis resté sans club pendant un an ou j’en ai profité pour voyager, aller voir les autres coachs au travail et aller voir les autres nation aussi. J’ai pu voir des clubs différents, des entraîneurs différents, des méthodes de travail différentes.
Et puis j’ai signé à l’ABC Trois-Rivières un club Nationale 3 garçons car je m’ennuyais. Parce que le terrain me manquait donc j’ai signé là-bas. Cela s’est plutôt bien passé, maintenant même si la fin était un peu plus compliquée, mais ça s’est bien passé. Par contre j’en ai tiré une certitude, c’est que je n’irai plus jamais en Nationale 3, c’est une évidence pour moi.
Et du coup tu es arrivé à Feytiat cette saison
Le Président m’avait déjà contacté il y a 2 ans, c’était au mois de janvier je crois. Il voulait un coach disponible immédiatement, cela n’a pas pu se faire.
Cette année, quand on est rentré en contact, c’est ça c’est plutôt vite fait. Parce que moi j’avais besoin d’un nouveau challenge, j’ai besoin d’entraîner. Et lui il avait besoin d’un coach pour relancer un peu la machine. Je suis rentrer en contact avec le président, puis après Benjamin Villeger m’a expliqué ce qu’était le club et on est parti sur cette aventure.
Tu étais destiné à devenir coach comment tu l’as ressenti ?
Jouer, j’aimais ça avec les potes mais ce qui m’intéressait véritablement c’était le coaching. Quand le coach me demandais de faire quelque chose sur sur les entraînements en tant que joueur je voulais savoir pourquoi on le faisait. Je notais tous les entraînements que je faisais en tant que joueur.
Quand j’ai voulu passer mon Brevet d’Etat, j’allais à l’Olympique d’Antibes voir Jacques Monclar travailler. Je préférais voir Jacques Monclar travailler que David Rivers dribbler. J’étais vraiment passionné par l’entraînement.
Raconte nous ton expérience européenne en tant que coach
L’approche d’une Coupe d’Europe pour moi elle n’a pas énormément changé ma façon de travailler.
On s’entraînait toujours beaucoup, on devait gagner parce qu’à Tarbes tu dois gagner. Tu vas pas là-bas pour jouer le maintien ou pour te faire éliminer sur les premiers tours de coupe.
La pression était différente
C’est aussi l’expérience de rencontrer des joueuses de très haut niveau. Je me souviens d’un match où on va jouer au Dynamo Moscou, on bat le Dynamo Moscou là-bas, c’était en quart de finale (si je dis pas de bêtises) de l’Eurocup. Et le coach à la fin du match me dit « vous êtes la première équipe a gagner ici depuis 10 ans ». C’est quand même une grande fierté pour nous. Malheureusement, ils nous ont rendu la monnaie de la pièce, on a perdu chez nous contre eux et ils sont passés.
Maintenant que tu as des éléments de comparaison, tu préfères coacher une équipe de garçons ou de filles ?
Ça dépend du niveau je pense. De par mon exigence dans le travail, je serais complètement incapable de coacher une Nationale 3. Ce sont des gens qui n’aiment pas forcément travailler, qui pensent qu’ils ont déjà réussi. C’est trois entraînements par semaine, c’est beaucoup de contraintes de vie privée parce que ce ne sont pas des pros, ce qui est normal. Donc ça je pense que je n’adhère pas à ça.
Maintenant c’est sûr que les niveaux au dessus, ça doit être complément différent et je n’ai pas forcément connu.
Dans le basket féminin il y avait moins ce côté athlétique est plus ce côté basket
Aujourd’hui, je pense qu’on fait l’erreur de baser les recrues davantage sur la qualité athlétique. Alors on peut me dire que c’est le basket moderne, mais je crois que ce sont des cycles. Aujourd’hui on dit qu’on manque de meneuses ou d’ailières. A une autre époque on se disait en manque de grandes. Mais je pense que recruter uniquement sur le côté athlétique, pour moi, ce n’est pas un critère. Le basket c’est plus que ça, c’est une intelligence de jeu, c’est une qualité de passe et une envie collective, c’est plus que ça.
Est-ce que ce travail presque psychologique avec les filles t’attire ?
Oui et non.
Oui dans le sens où les relations humaines, plus elles sont fortes mieux c’est quand même. Parce que pour coacher, il faut aimer les gens qu’on entraîne. Donc ça c’est ça c’est important.
Après je t’avoue que je fais attention aux joueuses. J’aime qu’elle soient heureuses, mais je ne veux pas faire de la psychologie manipulatrice et me retrouver à calculer tout ce que je dis parce que parce qu’il faut faire attention à Pierre, Paul ou Jacques. Je pense que si on est honnête on peut dire tout ce qu’on veut. Maintenant il faut savoir comment le dire.
Comment un coach de ton calibre arrive ici en Limousin ?
Il y a 2 facteurs : le premier c’est que personne ne voulait de moi en Ligue Féminine, c’est une évidence. Parce que si j’avais eu des opportunités en LFB, je pense que j’y serais allé quand même, il n’y a pas photo.
Le deuxième facteur, c’est que j’ai eu un contact avec plusieurs clubs de NF1 et de N2. Et Feytiat me semblait le club le plus structuré et assez cartésien par rapport à ce qu’il voulait faire et où il voulait aller. Et ça, ça m’a vraiment plu.
Quel bilan tires-tu de ta première année à Feytiat ?
Humainement incroyable : j’ai rencontré des gens vraiment extra, un staff formidable, des dirigeants, des bénévoles, des joueuses qui ont fait preuve d’une abnégation incroyable dans tout ce que je leur demandais. C’était vraiment plaisant. Je leur ai dit dans le vestiaire que je pense que si j’avais à faire un top 3 des équipes que j’ai entraînées et que j’ai véritablement aimées, celle-ci serait sur le podium sans aucun problème.
Au niveau sportif, je suis amer. Parce que je pense qu’il y avait la place pour faire bien plus que ce qu’on a fait. Même si on va dire que sur le papier, on n’avait pas l’équipe pour. Je pense que dire ça c’est nous manquer un peu de respect quand même, parce que si on était arrivé jusque-là c’est grâce au travail et pas aux noms qu’on a mis sur un papier.
On est un peu amers parce que je pense que ce 1/4 de finale de coupe de France, on aurait pu le passer. Je pense que ces playoffs, on aurait pu les faire.
Donc, petite déception par rapport à ça, mais grande satisfaction par rapport à tout ce qu’on a amené.
Parle-nous de ces filles, de ce groupe
Je ne les connaissais pas du tout, j’ai appris à les connaître sur le sur le tas. Ce sont des compétitrices. Quoi qu’on puisse dire d’elles, elle n’ont jamais rien lâché, elles ont un cœur énorme.
Certaines joueuses m’ont vraiment surpris :
- Mégane HERO a une capacité à scorer dans plusieurs secteurs de jeu qui est assez impressionnante.
- Caroline MISSET, qu’on ne disait que shooteuse, a démontré qu’elle savait défendre et plutôt bien.
- Tiphaine MELOIS a eu un rôle véritablement de leader et c’est une joueuses hyper adroite qui nous a apporté vraiment un plus dans ces secteurs là.
- J’avais trois extérieurs capable de scorer et et puis je pense que la complémentarité de l’équipe c’était d’avoir Awa NIANGHANE à l’intérieur qui est un point d’ancrage défensif impressionnant. Et je pense que si si les extérieurs ont brillé c’est aussi parce que Awa était là sur la défense. Cela nous a donné les possibilités d’avoir des secondes voire troisièmes chance de shoot parce qu’elle était vraiment dominatrice sur les rebonds.
Certaines avaient besoin du ballon d’autres pas et cet équilibre s’est fait. Elle se sont retrouvés vraiment avoir une alchimie complète ensemble.
Comment définis-tu ton style de coaching ?
Il y a un de mes anciens assistants qui avait trouvé un mot qui était plutôt juste : il m’a défini comme étant un dictateur social. Je pense que ce n’est pas totalement faux. C’est vrai que sur le terrain, j’ai plutôt un rôle dictatorial, mais en dehors je peux parler de tout et me remettre en question par rapport à plein de choses à partir du moment où les joueuses en ont besoin. C’est vrai je gueule, c’est vrai que je peux des fois être dur avec elle, mais je peux à chaque fois l’expliquer. Et on en parle.
Les gens voient la vitrine, ils ne voient pas le travail qui est fait derrière. Et derrière il y a un gros travail avec les joueuses. Parce que malgré tout je les aime mes joueuses. Donc il y a un gros travail qui est fait derrière pour qu’elles se sentent bien aussi. C’est évident que ce côté là, c’est mon côté passionné, c’est le côté un peu méditerranéen qui fait que je suis comme ça. Mais cela n’entache pas nos relations.
Le basket est un jeu total qui se joue tout terrain, et pas que sur demi-terrain
Est-ce que c’est la philosophie que tu as voulu amener ici ?
Oui. Essayer de jouer d’une ligne de fond à une autre ligne de fond et non-stop.
Je sais qu’on me caractérise comme coach défensif. Ça peut être vrai mais le basket c’est pas que ça. Le basket c’est tout. C’est la capacité à mettre des paniers, c’est la capacité à courir, c’est la capacité à agresser, à être conquérant. C’est être capable de pousser la balle de jouer d’un côté à l’autre du terrain de la même façon, de ne pas marquer de stop. Je ne suis pas Pierre Vincent, je ne garde pas la balle 22 secondes pour shooter à la 23e. Je n’aime pas ça.
Les prises de risque, qu’elle soient offensive ou défensive, me plaisent.
Cette année, tu a été élu par tes pairs, meilleur coach de NF1
C’est totalement mérité : je le mérite ! Non non c’est pas vrai (rires). D’autres coachs auraient pu l’avoir. Je remercie tous les entraîneurs qui ont voté pour moi. Parce que c’est vrai que ça flatte un peu ton ego quand même, d’être élu coach de l’année. C’est assez quelque chose qui n’est pas anodin.
Maintenant pourquoi cette année et pourquoi pas les autres alors que je ne considère pas que ce soit la meilleure année que j’ai faite. J’ai fait d’autres années où je me suis senti beaucoup plus performant que cette année-là. Mais cette année-là, c’est vrai que par rapport à au club, par rapport à l’équipe, par rapport à tout ça, on a fait un gros truc et moi je l’ai ponctuée d’un titre individuel.
Je pense que des joueuses de mon équipe méritaient d’être dans le 5 majeur aussi. Et encore une fois, il y a ces déceptions de pas être aller au bout de l’aventure.
C’est le club qui m’a donné la chance d’être de l’année. Parce qu’ils m’ont donné ces joueuses là. Grâce à eux je me relance dans ma carrière, j’ai un titre individuel et j’ai vécu quelque chose de fort. Donc je dois beaucoup au club aussi.
Est-ce que tu t’étais fixé un objectif ?
Par rapport à ce qui s’est passé sur ma fin en Ligue Féminine j’étais très revanchard. Ça c’est évident, parce que j’ai vécu ça personnellement comme une injustice. Et je pense pas qu’être sur le carreau ça fasse du bien, que ça aide à réfléchir ou quoi que ce soit. Je ne le crois pas du tout.
Je n’avais pas fixé comme objectif d’être coach de l’année, je m’étais fixé comme objectif de monter en Ligue 2. Parce que je pensais que le travail pouvez nous permettre cela, parce que je pensais que le club qui avait déjà eu des bons résultats avait besoin encore de franchir une étape. Et véritablement, jeu moi je ne pensais qu’à la Ligue 2, dès le début de championnat. Je ne pensais pas au titre de coach de l’année ou à finir 4e.
Je ne crois pas au talent sans travail, j’ai horreur des joueuses qui pensent ça. J’aime le collectif, gagner des ballons, être conquérant. Le travail, la défense, l’abnégation sont trois valeurs qui me tiennent à cœur.
D’où te viens cette vision du basket ?
J’ai toujours aimé les coachs qui travaillaient. J’ai toujours aimé les coachs qui essayaient de développer un instinct collectif.
Et moi j’ai souvenir d’une équipe à Calais qui avait été repêché en LFB, où on avait construit une équipe pour la Ligue 2. Et avec cette équipe là, en rajoutant une américaine, on s’est retrouvé 5e du championnat et qualifié pour une coupe d’Europe, qu’on n’a pas pu faire à cause des finances. Il y avait, sans que ce soit péjoratif, aucun talent et que des ouvrières. Mais elles adoraient travailler, elles adoraient jouer ensemble, partager les choses, avoir envie d’avancer. Elles se sont sublimées sur cette saison-là.
Moi les problèmes que j’ai eu dans ma carrière de coach, je les ai eu qu’avec des joueuses qui estimaient avoir un potentiel suffisant et pas besoin de travailler. Et ça je supporte pas. L’arrogance de gâcher un potentiel parce qu’on est un peu fainéant ou qu’on ne veut pas travailler. Ce sont des choses que je supporte pas.
Est-ce que Cyril Sicsic est un bâtisseur ?
Oui, je crois que oui. Je crois que je ne suis pas je suis pas un coach qui peut arriver quelque part où on donne les clés, tout est fait et puis ça se finit comme ça.
Moi j’ai besoin de construire, j’ai besoin d’évoluer, j’ai besoin de structurer les choses. À Calais on l’avait fait et ici on essaie de le faire aussi. Et on essaie de le faire en commençant par la base. Quand je suis arrivé, j’ai demandé quelle jeune joueuse pouvait s’entraîner avec la NF1, on m’a dit « aucune ». Et j’ai été obligé de prendre des garçons pour s’entraîner avec la NF1. Je trouve ça inacceptable dans un club de fille !
Donc on va remédier à ça. On essaie de regarder nos joueuses qui sont en U15 élite, on va les intégrer au projet NF1. On va intégrer des U18 au projet NF1. On va aller chercher des jeunes joueuse. Et on va créer, non pas une équipe NF1, mais on va créer un pôle entrainement. On va mettre dans ce pôle entraînement un staff de 5 coachs qui vont pouvoir s’occuper individuellement des joueuses, les développer, les suivre. Ce sont des coachs des U18 de la R1 et de la NF1. Et on va tous travailler dans le même sens.
Tu es un coach qui travaille sur le long terme ?
Je ne suis pas un mercenaire. J’aime voir les choses grandir. Je ne suis pas quelqu’un qui court après les gros contrats ou quelqu’un qui a besoin de que ça brille pour être intéressé. J’ai juste besoin de pouvoir entraîner convenablement, travailler et faire en sorte que les choses grandissent.
À Calais il y avait rien qui brillait et je m’y suis senti super bien. Nice c’était mon club, on n’était pas les plus riches mais on était heureux. Tarbes c’était vraiment la vitrine du basket féminin, là c’était différent. Le LABC j’aurais jamais dû y aller et pourtant je me suis éclaté. Et là à Feytiat, il y a des choses qui sont en train de se faire et je pense qu’on en a tout pour réussir.
Pour réussir, le premier objectif ce sera la montée en Ligue 2 l’année prochaine ?
Le premier objectif, c’est de convaincre les gens de nous faire confiance, de convaincre les jeunes qu’on a quelque chose de véritablement fort à leur apporter. Et la finalité ce sera j’espère la montée en Ligue 2.
On s’est arrêté sur 7 joueuses en NF1 et on va monter le groupe d’entraînement à 15. Cela veut dire que derrière ça il y aura 8 joueuses issues de notre centre d’entraînement qui s’entraîneront tous les jours avec la NF1 et qui sont après dispatchés dans les différentes équipes où elles joueront le weekend
Que peut-on te souhaiter pour la suite ?
Continuer à prendre autant de plaisir à entraîner. Essayer d’être encore meilleur, parce qu’on peut toujours s’améliorer. Et puis monter en Ligue 2, ce serait bien.